PremièreS
RadicalitéS
1789-1792
La fracture du corps politique
La dynamique politique n'est désormais plus conduite seulement par une l'assemblée des notables, la noblesse ou le pouvoir exécutif mais progressivement par un nouveau groupe populaire. C'est une période de disqualification des ordres dominants de « l’Ancien Régime » et de radicalisation se manifestant surtout par une fracture entre les groupes politiques. L'Assemblée Constituante, répondant à une volonté de démocratisation du pays, voit une opposition grandissante de la noblesse qui s'organise contre la révolution en constituant une armée d'émigrés aux frontières et dans les régions qui les soutiennent. Les sections urbaines et organisations populaires ne font plus confiance en l'Assemblée qu'ils voient comme trop modérée et conservatrice des valeurs de « l’Ancien Régime ». Enfin le roi refuse les réformes démocratiques perçues comme trop radicales et reste indécis dans les choix à prendre.
C'est une ère de transition politique et de rupture entre les différents groupes politiques qui commence.
La peur du complot aristocratique
La nouvelle liberté de presse, qu’aucune loi ne limite encore, favorise journaux et pamphlets. La hantise du complot contre la Révolution s’y manifeste particulièrement. Le fantasme d’un anti pouvoir caché prend d’emblée le visage d’un ennemi : l’aristocrate. C'est une dissolution du corps politique et de la société d'ordre qui se met en place une partie des nobles étant désigné comme ennemis de la révolution et eux-mêmes en particulier les émigrés se présentant comme en rupture avec le processus démocratique. C'est à travers de nombreuses caricatures que cette rupture sociale est particulièrement visible.
Le Géant Iscariote est une caricature qui peut se voir, se lire et se comprendre. Diffusé à partir de l’Eté 1789 et réédité jusqu’en 1790 le dessin attire l’œil des badauds passant devant les vitrines des marchands d’estampes. Autant de créatures d’imagination au corps monstrueux qui peuplent les représentations du complot aristocratique. Les emblèmes de la tyrannie dans la main Iscariote est le monstre du despotisme rôdant autour de la Bastille qu’il veut défendre. Son succès provient d’un jeu sur les lettres, Iscariote étant l’anagramme d’Aristocrate. On le retrouve sur différents supports de la représentation pour atteindre l’imaginaire plus large du complot aristocratique. Il y a aussi derrière ce nom d’Iscariote le surnom du traitre biblique Judas. Par ailleurs l’imaginaire s’enrichit du portrait de l’Autrichienne, figure de la traitresse. Enfin la pathologie monstrueuse, comme le déclare Antoine de Baecque dans un article sur Iscariote le géant aristocrate, « n’est qu’une variante de la dégénérescence corporelle frappant les grands du royaume dans l’imaginaire du discours anti-noble des débuts de la Révolution ».
Le fantasme du complot aristocratique contribue à souder les esprits populaires. La Révolution établit une frontière entre le peuple et les privilégiés : elle a trouvé ses boucs émissaires. La nation se définit par ce qu’elle rejette ; les rumeurs sur les complots qui la menacent suscitent une large mobilisation. Les gardes nationales qui s’organisent spontanément dans toute la France pendant l’été 1789 concrétisent le sursaut contre l’obsession du complot. Le fantasme d’une menace pesant sur les droits récemment acquis a suscité l’idée de nation, par exclusion des nobles rejetés du corps social.
Le citoyen actif et passif
L’Assemblée constituante édifie un régime d’étagement des droits politiques d’après des seuils fiscaux. Elle exclut les pauvres et n’accorde aux moins pauvres que le droit de désigner une minorité d’électeurs fortunés. Ne peuvent être électeurs les « citoyens passifs » : les femmes, les personnes en état d’accusation, les faillis, les insolvables et les domestiques, particulièrement nombreux à l’époque, qui sont exclus du droit de vote comme citoyens non indépendants. Pour être « citoyen actif » il faut avoir au moins 25 ans, résider dans la ville ou le canton depuis au moins une année, être inscrit au rôle de la garde nationale dans la municipalité du domicile, avoir prêté le serment civique et acquitté le paiement d’une contribution directe égale à trois jours de travail. On estime à plus de quatre millions les « citoyens actifs » de 1790. Les hommes de la Constituante ont ainsi décrété l’égalité mais considéraient que l’aptitude au gouvernement et à la vie publique naissait de l’indépendance et de l’instruction, donc de la propriété et de l’aisance. Cette inégalité des droits est très critiquée dans la presse de l’époque. Une caricature de 1790 montre cette distinction entre citoyens actifs et passifs. Une dispute intervient entre le citoyen actif incarné par le paysan aisé propriétaire d’une exploitation agricole et la noblesse à propos du droit à la citoyenneté. Le premier montre son bon droit à l’accès de ce droit en avançant sa bêche, symbole de son travail difficile et le second justifie ses privilèges à pouvoir participer à la vie civique par sa naissance, ses titres acquis et son rôle de défenseur du royaume. Ce dernier est soutenu par le roi qui est le premier des citoyens actifs à soutenir ses prérogatives. C’est surtout la figure du citoyen passif qui intéresse le sujet de la radicalité car il déclare « Prenez garde que ma patience ne m’échappe ». Ne pouvant être, vu son manque de richesse, citoyen à part entière avec le droit de vote il est exclu de cette dispute et semble piaffer d’impatience attendant la fin de la discussion entre les deux ordres pour agir. Cette séparation des citoyens en deux groupes est objet de radicalités entre l’Assemblée constituante qui souhaite exclure les citoyens les plus pauvres et ces derniers qui souhaitent plus de justice sociale et de réformes en vue d’améliorer leur condition de vie.
La désacralisation de la figure royale
Le Département de Police de Paris s'est ému, le 16 septembre 1791, de l'étalage de « trop nombreuses etindécentes caricatures », « on se plaint, Monsieur, de ce qu'après que le roi a demandé l'oubli de tout ce qui s'est passé, et que l'Assemblée nationale a décidé d'annuler toutes les procédures qui y sont relatives, on voit encore en étalage chez tous les marchands d'estampes, des gravures qui rappellent le moment du retour du roi, et des estampes encore bien plus injurieuses à sa personne sous différentes allégories ». La fuite du roi apparaît comme une trahison et marque profondément les esprits. Après Varennes l’Assemblée doit accréditer l’idée d’un enlèvement du roi pour sauver son projet de monarchie constitutionnelle et prendre des mesures énergiques pour assurer la sécurité du roi. Le roi est décrédibilisé et vu comme un traître à la Patrie. A travers la littérature politique, les pétitions et pamphlets qui lui sont destinés il est montré comme ayant abdiqué, se plaçant en rupture avec l'Assemblée Constituante. Refusant déjà toute réforme par sa figure du roi veto il devient ici roi cochon par sa traitrise et fuite de la capitale. C'est un roi qui ne tient pas ses promesses et qui veut rejoindre les ennemis de la nation, les contre-révolutionnaires et les forces coalisées étrangères.
Le couple royal est représenté dans une caricature zoomorphe. Le roi-porc est désormais lié à la reine-hyène. C'est la lacheté du roi qui est montrée à travers cet animal. L'image de porc vorace dévorant avec malpropreté cherche à désacraliser une figure montrée depuis toujours comme intouchable. Le cochon fait depuis longtemps partie de l'imaginaire traditionnel et les qualificatifs animaliers ne sont pas nouveaux dans les textes polémiques ou ironiques, toutefois il convient de mesurer la nouveauté et l'étrangeté de l'usage politique qui en est fait lors de la crise de juin-juillet 1791.
En outre ce monstre à corps double est constitué dans son arrière train d'un corps de hyène, animal lié à la traitresse de toujours Marie Antoinette. Déjà affublée de surnom péjoratif de "l'Autrichienne", elle est ici associée à l'animal de la perfidie, comploteuse prête à tuer sa proie. Sa chevelure est composée de serpents, l'associant ainsi à la mythique méduse. C'est une bête mythologique qui représente le couple royal, un animal contre nature, immonde qui transporte avec elle le fléau dans le royaume. Le roi, plus épargné auparavant dans les représentations iconographiques, que la reine est ici entièrement associé à la figure du lâche et à "l'Autrichienne" par la légende du dessin "les deux ne font qu'un".
Animal familier et nourricier comme le souverain père de son peuple il dévore les déchets de la maisonnée ; ainsi Louis XVI, ogre familier, est aussi le dévoreur du peuple que l'on tue pour se nourrir en un sacrifice quasi rituel.
" Journée du 20 juin 1792 : réunion des citoyens du faubourg St Antoine et St Marceau allant à l'assemblée nationale présenter une petition et de suite une autre chez le Roi." anonyme estampe eau-forte ; 10 x 15,5 cm, 1792 Paris.