PremièreS
RadicalitéS
1789-1792
Violences et radicalités
La radicalité passe par des formes manifestes et codifiées s'affirmant comme un acte politique. Les troubles généralisés révèlent autant la menace vitale éprouvée par la communauté pour son existence que l’affaiblissement de l’État car, jusqu’ici, sa puissance s’affirmait par sa capacité à s’assurer du monopole de l’exercice de la violence.
La Justice Populaire
La question de la violence populaire est au cœur de nombreuses représentations, interprétations et débats, dans la presse et les pamphlets, cela dès les débuts de la Révolution.
Renaît alors une archaïque tradition du massacre ; il suffit que circule une rumeur de complot, imaginaire ou réel, et la foule s’enflamme pour punir les « coupables », de façon préventive. Le 22 juillet 1789, Foulon de Doué, qui a remplacé Necker aux Finances, et l’intendant de Paris Bertier de Sauvigny, son gendre, sont recherchés, lynchés et pendus par la foule à une lanterne place de Grève, car ils passent pour les agents d’une politique contre-révolutionnaire.
Des pamphlets anonymes attisent ces mouvements populaires et poussent à une justice expéditive. Cette violence sécrète un imaginaire qui se diffuse dans la presse et à travers des gravures et dessins satiriques. Camille Desmoulins, dans son journal La révolution de France et de Brabant, utilise cette image de la justice populaire représentée par la lanterne. Dans une caricature montrant Le général Dalton poursuivi par les réverbères patriotiques il personnifie la lanterne à laquelle on pend les aristocrates et qui poursuit ses futures victimes. Les pendaisons à la lanterne ont lieu place de Grève, devant l’Hôtel de Ville, dans le cadre où se sont déroulés pendant des siècles les supplices prononcés par la justice royale se plaçant ainsi dans la continuité de l'ancien régime mais sous des formes radicalement nouvelles. La violence est varolisante, elle est encouragée et apparait sous la forme d'un discours spectaculaire qui permet à un individu de s'affirmer comme un personnage public. Les massacres des gardes du corps du roi à Versailles lors des Journées d'Octobre 1789 se placent dans cette même recherche de violence symbolique et politique.
Violence légitime contre violence légale
S’interrogeant sur les fondements, les caractéristiques et les conséquences des mouvements populaires sous toutes leurs formes, de nombreux auteurs s’inquiètent de la légitimité ainsi que de la légalité des violences de la foule mais surtout de l’attitude que les autorités doivent - et peuvent - adopter face à ces dernières.
Cette violence légale est avant tout ancrée dans un héritage de l’Ancien Régime. À côté de la violence répressive d’Etat s’affirment des violences populaires présentées comme légitimes dans contexte de construction d’une nouvelle société. Du Printemps à l’automne 1789 les séquences de violences s'enchainent à Paris. La bourgeoisie constituante a voulu briser cet engrenage en votant la loi martiale du 21 Octobre 1789 et en hâtant la constitution d’une garde nationale. Mais cette décision fut vivement critiquée notamment par Marat qui voyait en elle un moyen de réprimer la révolution.
Les violences populaires, au centre des attentions, incitent journalistes et pamphlétaires à s’exprimer sur l’attitude des autorités à leur égard. La proclamation de la loi martiale, le 21 octobre 1789, provoque une démultiplication des questionnements et des prises de position. Qu’ils la considèrent comme nécessaire ou illégitime, les auteurs évaluent ses fondements, ses modalités et sont amenés à confronter différents principes révolutionnaires. Support de multiples critiques envers les autorités la loi martiale révèle l’équilibre fragile d’une société en construction. Fortement tributaire des représentations des violences, cette loi focalise l’attention des auteurs.
C'est la journée du 17 Juillet 1791 , suite à l'envoi de la garde nationale contre le peuple rassemblé sur le champ de Mars, qui marque une véritable rupture entre les groupes politiques. D’un côté se trouvent les partisans d’une violence légitime du peuple et de l’autres les défenseurs d’une révolution plus pacifique. Cet évènement est majeur, qualifié de massacre contre une manifestation pacifique ; il attise la méfiance et une opposition grandissante contre ces députés ne répondant plus aux intérêts du peuple. Une rupture est faite à travers cet acte dévoilant un gouvernement tirant sur son peuple. Un lieu de rassemblement symbolisant l'union nationale a été souillé ; c'est la figure d'un Etat répressif qui s'inscrit dans une violence d'Ancien Régime. Une telle estampe fut diffusée dans le journal de Desmoulins qui relate les évènements s’étant déroulés à Paris. La puissance de l’image accentue l’émotion engendrée par cet évènement tragique, les lecteurs se sentant directement concernés par des faits devenant un facteur de radicalisation.
Une violence emotionnelle.
La violence prend sa forme paroxystique quand elle se mêle à la peur et à la rumeur, allant jusqu'à la sauvagerie où se dévoilent des pulsions sadiques, se mêlant parallèlement à un souci de justice directe.
L’origine de la peur déjà présente en Août 1789 avec la grande Peur est identifiable mais on reste frappé du caractère en partie aveugle des massacres. D’octobre 1791 à mi-1792 l’un des premiers massacres est médiatisé à travers une série de gravures : c'est le massacre de la Glacière qui se déroule à Avignon. Une soixantaine de suspects papistes sont massacrés, mutilés dans un contexte de crise alimentaire, de rumeurs et tensions entre patriotes et papistes suite à l'assassinat du greffier de la commune. Un groupe de la garde nationale et de prorévolutionnaires se présentent au château de la Glacière où étaient enfermé les suspects de cet assassinat. Une soixantaine furent massacrés dont une majorité de femmes. Cet épisode de massacre nocturne est énormément relayé par la presse française et européenne, mettant nettement en évidence l’horreur et la cruauté de cet évènement. Une gravure démontre que les auteurs associés à ce massacre ne sont pas une force municipale mais une bande de brigands dirigée par le chef de la garde nationale Jourdain qui est montré comme entraînant sa bande dans une folie meurtrière et irrationnelle. C'est pourtant une violence provenant du pouvoir révolutionnaire local, qui cherche à rendre justice à l’un de leur assassinés par les papistes et à transmettre ainsi un message fort aux soutiens du pape Cette ultra violence populaire contre les ennemis intérieurs se retrouve durant les massacres de Septembre 1792 avec un même procédé : des massacres, une justice expéditive, l'élimination de l'ennemi intérieur et un message politique destiné aux émigrés et contre-révolutionnaires.
Cette violence est présente dans les faits mais aussi dans l'acte de représentation du massacre par le dessinateur ; ce dernier montre les révolutionnaires en train de massacrer violemment des femmes qui sont des figures même de l'innocence. L'émotion populaire est à son paroxysme durant cette nuit de Septembre. Par ailleurs cette représentation des massacres engendre elle-même une peur du phénomène révolutionnaire en province et en Europe. La peur et la rumeur ont ainsi une place majeure dans l'évolution de la radicalité révolutionnaire.
Agression d'un garde du corps du roi lors des journées d'Octobre 1789 après que la foule de manifestants eut pénétrée au château de versailles et se dirigeant vers les appartements de la reine, anonyme, estampe, 1789, Paris